jeudi 31 mai 2012

Les étiquettes de mots

Du plus loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été contre l'apprentissage de la lecture via la méthode globale. Je me souviens même avoir suivi d'un œil suspect (et quelque peu inquiet) le travail fait par mes filles en maternelle autour des mots. Lorsque mon aînée est entrée au CP et qu'on m'a annoncé une méthode "mixte" - mêlant lecture globale et syllabique, je me suis définitivement crispée... Mais comme, quelques mois plus tard, elle lisait vite, bien et beaucoup, j'ai cessé de m'inquiéter. Et puis, et puis... j'ai fait des découvertes.

Elliott n'avait pas 2 ans qu'il s'intéressait déjà beaucoup aux mots : ceux qu'il voyait écrits dans ses livres ou dans les cahiers de ses sœurs, ceux qu'il voyait à l'extérieur, ceux que l'on écrivait ici ou là... Souvent, il me montrait un mot et me demandait de le lire. Ou inversement, il me disait un mot et me demandait de l'écrire. C'est comme ça que, pour nourrir son intérêt, je lui ai fait ses premières étiquettes avec "papa", "maman", son prénom et celui de ses sœurs. A ma grande surprise, ses étiquettes l'ont passionné et il a été capable de reconnaître, assez rapidement, les noms de chacun. C'est bientôt devenu un jeu, il me demandait d'écrire toutes sortes de mots qui lui passaient par la tête, et réclamait ses étiquettes dès qu'il me voyait à mon bureau, comme s'il avait une soif intarissable de mots.


 Un peu décontenancée par tout ça - mais très au point sur le contenu des étagères de ma librairie virtuelle préférée - je me suis procuré le livre de Françoise Boulanger intitulé "Lire à 3 ans, c'est tout naturel". Non que j'avais l'intention de pousser mon fils et d'en faire un singe savant, mais j'avais envie de comprendre les mécanismes de cet apprentissage, et de savoir comment l'accompagner au mieux.
D'autant que j'avais l'expérience (récente) de ma fille cadette : en moyenne section de maternelle, elle voulait lire, elle n'aspirait qu'à ça mais ce n'était pas le moment. Que ce soit l'école ou même moi, nous n'avions qu'une seule réponse : "vivement le CP !" L'année suivante, son intérêt s'est étiolé petit à petit, au point que la maîtresse m'a convoquée en fin d'année scolaire pour me dire que son niveau stagnait (alors qu'elle avançait bien plus vite que le reste de la classe en début d'année, elle avait progressivement été rattrapée... puis dépassée). Et finalement, l'apprentissage de la lecture en CP a  été beaucoup plus laborieux que je l'avais imaginé. Sans doute sa période sensible était-elle passée... J'ai compris de moi-même et à mes frais un des piliers de la pédagogie Montessori : observation de l'enfant et respect de ses rythmes d'apprentissage.

Quelle ne fut pas ma surprise, donc, de découvrir dans l'ouvrage de Françoise Boulanger, un argumentaire somme toute cohérent en faveur d'une approche globale de la lecture - en première instance. L'idée (que je simplifie ici à l'extrême) est donc de proposer à l'enfant des mots écrits sur une étiquette, qu'il mémorisera grâce à des moyens visuels qui lui sont propres (longueur d'un jambage, point sur les i, longueur du mot, ...), et qui, à force de les manipuler (les assembler, regrouper par sons, faire rimer, etc.), déduira des correspondances graphie/phonie. J'ai été bluffée quand j'ai vu Elliott se tromper entre "vache" et "voiture" : il avait nettement identifié la lettre "v" et les deux mots de son lot d'étiquettes qui commençaient par le son "vvv", même s'il n'avait su mémoriser parfaitement les deux mots en question.


Bien entendu, il n'est pas question de donner à l'enfant des étiquettes jusqu'à ses 20 ans pour lui permettre de mémoriser des mots nouveaux tout au long de sa vie ! Les étiquettes que l'enfant manipule sont la base d'un apprentissage progressif des phonèmes, apprentissage sans cesse réinvesti par la manipulation des étiquettes. Bref, le livre de Françoise Boulanger est une mine d'informations et d'idées pour accompagner son enfant dans l'apprentissage de la lecture, sans jamais perdre de vue l'aspect ludique et la notion de plaisir d'apprendre.


Et sur le plan pratique ?
Mes premières étiquettes, je les ai écrites en majuscules d'imprimerie. Parce que c'est comme ça qu'ils font, en maternelle. Et puis, j'ai lu le livre de Françoise Boulanger... VOUS TROUVEZ CA FACILE, VOUS, D'IDENTIFIER LES MOTS LORSQU'ILS ONT TOUS LE MÊME FORMAT, CONTENU ENTRE DEUX LIGNES ? Moi, non ! Donc j'ai suivi sa recommandation d'opter pour des mots en minuscule (tout en conservant les majuscules aux noms propres). Ça n'a pas été très traumatisant pour Elliott, qui est familiarisé aux majuscules, minuscules d'imprimerie et à l'écriture cursive grâce à différents abécédaires. Par contre, je n'ai pas pris la police recommandée (Comic Sans MS, que je déteste...), mais une autre (Century Gothic). Je n'ai pas cherché à dimensionner mes étiquettes comme dans le livre, mais j'ai veillé à ce qu'elles soient facilement manipulables tout en étant écrites suffisamment gros pour être parfaitement lisibles (mais pour que "marmotte" rentre sur une seule ligne aussi...). Je les ai toutes imprimées et plastifiées, question de solidité... Enfin, tous les mots sont alignés à gauche, ce qui permet de mieux appréhender la longueur de chacun, entre autres.


A la question "est-ce qu'Elliott sait lire, maintenant ?", la réponse est non, évidemment. Après quelques mois d'utilisation intensive de ses étiquettes (une soixantaine, tout de même !), une période de vacances est venue changer le rythme de nos activités. On a perdu le rythme, j'ai cessé de lui proposer des activités avec ses étiquettes, et il s'en est désintéressé d'un coup. Malgré tout, il lui arrive encore de me demander de lui écrire des mots sur le petit tableau de la cuisine, ou de lui montrer montrer dans ses livres certains mots qu'il a entendus et qu'il souhaite "voir". Mais je me dis que tout ceci n'est pas perdu... et peut-être qu'un jour, il se montrera à nouveau réceptif, et nous pourrons reprendre nos étiquettes et nos activités.

8 commentaires:

  1. Moi aussi, j'ai mis de l'eau dans mon vin par rapport à ces "mots-étiquette" qui, en réalité, rassurent l'enfant et lui donnent l'impression d'entrer rapidement dans la "lecture" (car beaucoup d'entre eux, très demandeurs, sont très vite rebuté par la difficulté de l'exercice... C'est un peu ce qui est arrivé à ta fille !). D'ailleurs, dès qu'ils commencent à déchiffrer, ils reprennent généralement ces étiquettes de mots qu'ils savent reconnaitre et "vérifient" en quelque sorte, que le déchiffrement fonctionne sur eux.C'est toujours un grand moment de voir leur satisfaction quand ils comprennent pourquoi ce mot qu'ils connaissaient par coeur "sonne" de cette manière !

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    1. Merci pour cet éclairage de professionnelle !
      C'est vrai que si Elliott s'est (pour le moment) détourné de ses étiquettes, il n'en garde pas moins son intérêt pour les mots : en allant à la piscine dimanche, il a demandé si ce qui était écrit sur le tapis à l'entrée était bien le mot "piscine". Et puis, il identifie les lettres, et se crée lui-même ses activités finalement. A charge pour moi de le suivre dans ses découvertes à son rythme, c'est passionnant aussi !

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    2. J’avais écrit un long commentaire…qui s’est volatilisé ! Tout ça pour vous dire que j’ai moi aussi essayé quelques semaines cette méthode, mais après de nombreuses lectures sur ce sujet, et la découverte de la pédagogie Montessori, j’en suis totalement revenue…De plus, c’est tout de même un départ global, et c’est là que le bât blesse !!!
      Sur 5 ados qui ont tous eu des méthodes mixtes, une seule écrit très bien orthographiquement parlant, et un s’en sort presque correctement…pour les 3 autres, c’est une orthographe phonétique, même encore au lycée où je vois régulièrement un verbe en « er » au participe passé !!! et pourtant, je suis aussi enseignante de formation….Cela m’exaspère donc au plus haut point, mais les dégâts sont faits !!! j’ai écrit récemment un billet sur l’apprentissage de la lecture (que je dois un jour compléter par un deuxième billet d’ailleurs, quand j’aurais le temps !)… si cela peut vous éclairer ?
      http://choupinettevie.canalblog.com/archives/apprentissage_de_la_lecture/index.html
      et puis, la méthode Montessori est tellement riche, d'un point de vue du vrai travail phonologique...l'an dernier, pas encore formée en Montessori, j'ai utilisé ce livre avec mes GS : "de l'écoute des sons à la lecture" aux éditions du Grip.
      et, bien sûr qu'il faut rebondir sur le moment où l'enfant est prêt, pas ce qui est malheureusement arrivé à votre fille cadette, encore trop fréquent dans l'Ecole "traditionnelle" ...

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    3. Choupinettevie > Merci pour votre commentaire et témoignage, fort intéressant ! (par contre désolée pour le bug technique et la disparition de votre premier commentaire... je sais à quel point cela peut être rageant !).
      Je crois que, bien que long, mon article ne développe pas correctement mon point de vue (et celui qu'engage un ouvrage comme celui que je cite). Je vais donc essayer de préciser ici quelques points :
      - tout d'abord, je reste profondément contre les méthodes globales et semi-globales, pourtant largement mises en œuvre dans les écoles aujourd'hui. Je suis enseignante en lycée professionnel, où nous rencontrons un grand nombre d'élèves en échec scolaire... d'abord et avant tout parce qu'ils n'ont pas les bases nécessaires en lecture (savoir lire ET comprendre ce qu'on lit) et écriture, pour pouvoir avancer correctement dans l'ensemble des disciplines scolaires qu'on leur propose au collège. Beaucoup d'entre eux sont étiquetés "dyslexiques", mais en réalité, très peu le sont vraiment. Sur le plan personnel cette fois, autant ma fille aînée lit bien et facilement maintenant, autant ma cadette, qui arrive en fin de CP, est la preuve de l'écueil que vous mentionnez : elle sait "lire" les textes vus en classe, mais a beaucoup de mal avec l'inconnu...
      - cela étant, j'ai adopté le système des étiquettes pour mon fils, car j'estime qu'à 2 ans, on n'est pas capable des mêmes cheminements mentaux qu'à 6. Les étiquettes sont juste une "entrée en matière" pour apprivoiser les mots. Un peu comme on lirait/observerait le mot "pharmacie" à la devanture de la pharmacie, ou "La Poste" à la porte de celle-là, ou "haut" et "bas" sur un carton, etc. Mais même à 2 ans, nous avons commencé un travail sur les phonèmes en parallèle : le son "p" (avec "papa"), le son "m" (avec "maman"), les voyelles, etc.
      - dans le livre de Françoise Boulanger, qui n'est pas, et j'insiste, une méthode d'apprentissage de la lecture, mais une sorte de partage d'expérience, les "jeux" visent à apprivoiser ces phonèmes. Les activités sont destinées à des enfants de 3-4 ans, et tendent à répondre à l'intérêt naturel de l'enfant pour la lecture. Et je dois avouer par ailleurs que j'ai interrompu ma lecture avant la fin (exercices plus formels sur les phonèmes) car nous n'en étions pas arrivé à ce point avec Elliott.
      - enfin, étant moi-même sensibilisée à la pédagogie Montessori, je propose des pseudo dictées muettes (ce ne sont pas les "officielles" car je suis en fait les phonèmes étudiés en classe par ma fille) à ma fille pour l'aider (enfin, je l'espère !). Je me trompe peut-être, mais je pense qu'un deuxième problème vient ensuite se greffer à ce premier apprentissage pas toujours évident, c'est celui de la grammaire (quand vous parlez de confusion er/é par exemple)... Mais là, c'est un autre débat ! ;)
      J'ai lu votre article sur l'apprentissage de la lecture... Et j'avoue que ça me perturbe (même si, quelque part, ça rejoint mon idée première sur la question...) !! ;-)
      Ce n'est pas toujours évident de faire des choix pédagogiques pour ses enfants (sans compter que quand ils sont scolarisés, on est totalement dépendants des modes, pas toujours très bien trouvées, de l'Éducation Nationale - quand on n'a pas la chance d'avoir une école Montessori à proximité !).
      Encore merci d'avoir alimenté le débat !

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  2. Vous me direz ce que vous a apporté cette lecture, comment elle a fait murir votre réflexion…Elle a en effet confirmé chez moi mes premières intuitions également !
    Le problème du livre et de ce système d’étiquettes, c’est qu’on commence par la « photographie » du mot, et non par la phonologie…qu’il faudrait partir du plus simple pour aller vers le plus complexe, pour respecter le développement du cerveau…
    En soutien pour des ce2-cm1 non vraiment lecteurs l’an passé, j’ai utilisé la méthode de lecture du docteur Weisttsein-Badour, en 2ème partie d’année, n’ayant découvert ses livres qu’à partir de janvier, et à mi-temps, mais cette révision des sons simples et le début des sons complexes (« an/am - en/em » par exemple) était nécessaire !
    En effet, comme vous le dites, les méthodes de lecture de ces 10/15 dernières années représente la grosse partie de la clientèle des orthophonistes, qui ne font souvent que de la pédagogie (pour corriger ce qui a été fait à l’école) et très peu leur vrai métier auprès de tous les vrais « dys » en tout genre…
    J’ai fini de lire un autre livre sur le système scolaire et le « jeu » des politiques sur l’enseignement en général, cela ne fait que regrouper toutes les raisons que je connaissais qui vont à l’encontre de ce qui est bon pour les élèves….dur-dur de voir écrit ce qu’on imaginait être la vérité !!! il s’agit du livre « le pacte immoral »…triste bilan qui donne envie de faire bouger les choses à notre échelle, puisque d’en haut, c’est un peu plus compliqué…

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  3. je m'excuse pour la faute d'orthographe : mûrir et non murir, ça me choquait...

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  4. Ma fille a 4 ans et elle demandait déjà l'an dernier à apprendre à lire et se réjouissait d'aller à l'école. Hier sa maitresse lui a dit ce n'est pas le moment tu es trop petite. Du coup on a eu droit pour la première fois à "je n'aime pas l'école"
    Alors je vais mettre quelques étiquettes et jouer parallèlement au jeu du "devine le son". je vois dans la boite un objet qui commence par "beuh"et elle me tend la barbie...etc... d'autres idées ? Merci

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    1. sophiec16 > "Avoir envie de lire" ne signifie pas nécessairement que l'enfant est prêt à comprendre le principe de l'association des sons ; mais pour autant, le rabrouer en lui disant qu'il est trop petit est aussi ridicule que démotivant... Certaines maîtresses manquent de tact...

      Les étiquettes, ça peut être un bon moyen de "nourrir" l'intérêt de ta fille dans l'immédiat, puisqu'elle a ENVIE d'apprendre à lire et qu'il n'y a rien de plus frustrant que de savoir qu'on est trop petit pour ci ou ça !

      A 4 ans, on peut aimer faire plein de jeux avec les sons ! Par exemple, on cherche tous les mots qui commencent avec le son "ffff" ou tous les mots qui finissent avec le son "on", etc. Ce qui est bien, c'est qu'on peut y jouer n'importe où, n'importe quand (et même les grands peuvent participer !). C'est aussi l'occasion de feuilleter des abécédaires (mention spéciale pour l'abécédaire de Balthazar, de Marie-Hélène Place)...

      Sur les plateaux de sons (il faudrait que j'en présente un, un jour - il faudrait que je prenne le temps !!), on peut proposer des choses de plus en plus complexes (avec des sons approchants, style [f], [v], ou demander de montrer l'objet qui commence pas le son, ou finit par le son, ou contient le son.
      C'est une activité qui peut se faire par étapes : dans un périmètre de plus en plus large (et pas seulement quelques objets sur un plateau), avec des consignes de plus en plus compliquées (exemple : je vois un objet qui commence par le son "ssss" et qui finit par le son "kkk" : le sac), ce qui amène l'enfant à décomposer les sons des mots... Si l'enfant est réceptif et y arrive, il peut être intéressant d'aller voir ensuite du côté des dictées muettes.

      Enfin, et je n'en mesure ni l'impact ni l'utilité, mais mon fils aime bien (parfois, pas systématiquement, mais à sa demande) que, lorsque je lui lis une histoire, je lui montre chaque mot avec mon doigt. Parfois, on le fait sur une phrase seulement (parfois, juste le titre), parfois plus longuement...

      Voilà pour mes idées du jour, si j'en trouve d'autres, je reviendrai les partager ! ;-)

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